jeudi 8 septembre 2016

Le Sang des promesses - Wajdi MOUAWAD

Titre : Littoral (#1)
Auteur : Wajdi Mouawad
Édition : Actes Sud / Babel
Nombre de tomes : 4 (possibilité de lire dans le désordre)
Date de parution : 1999
Nombre de pages : 192
Genre : Théâtre
Décor : Probablement Canada et Liban
Lu en : Août 2016

8/10

Quatrième de couverture : En apprenant la mort de son père inconnu, l’orphelin Wilfrid décide de lui offrir une sépulture dans son pays natal. Mais ce coin du monde est dévasté par les horreurs de la guerre, ses cimetières sont pleins, et les proches de cet homme rejettent sa dépouille. À travers les rencontres douloureuses qu’il fera à cette occasion, Wilfrid entreprend de retrouver le fondement même de son existence et de son identité.

« Recréer Littoral me pose une question furieuse : comment faire pour ne pas trahir celui que j’étais il y a quinze ans ? Comment ne pas le tromper comme celui qui retouche son journal d’enfance des années plus tard pour lui donner un sérieux plus prononcé ? Comment rester vivant et redonner à l’histoire sa présence ? Comment ne pas figer celui que je suis devenu par trop d’angoisse ? Comme rester vivant avec ce qui est mort en nous ? Comment porter son propre corps mort pour lui trouver une sépulture ? »


Mon avis : Je vais commencer en remerciant encore une fois L'erreur sociale de m'avoir offert ce livre, parce que je n'arrivais pas à mettre la main dessus, et je pense que, sans lui, j'aurais pu chercher encore un moment tout aussi infructueusement !

Je n'ai pas respecté l'ordre chronologique de sortie des pièces, ayant commencé par Incendies, puis Forêts, mais en effet, comme dit plus haut, il n'y a aucun besoin de les prendre dans l'ordre. Cependant, j'avais déjà une idée de l'importance de certains thèmes récurrents et j'ai donc été happée dès les premières lignes, à l'évocation de la mort du père de Wilfrid, le personnage autour duquel se déroule toute la pièce.

Le style du dramaturge est toujours aussi délicat à décrire, car sa façon d'écrire est vraiment unique, du moins je ne connais rien qui s'en approche. Il a un don pour faire se chevaucher les différentes époques de narration, n'hésitant pas à superposer des dialogues du passé à des passages du présent, faisant parfois se mêler les morts aux vivants d'une manière étonnante, car j'ai l'impression que le lecteur n'est jamais perdu, juste un peu déboussolé, sentiment voulu pour être au plus proche des personnages, mais toujours en sachant plus ou moins où il se trouve et ce qui se passe, comme s'il flottait entre deux eaux en se laissant porter par le flot des répliques. Le style est donc difficile à décrire, certes, mais il est très facile et agréable de se laisser emporter dans son courant.

En ce qui concerne l'histoire en elle-même, on se retrouve en tête-à-tête avec Wilfrid, le jour où il apprend qu'il a perdu son père dans une situation assez délicate et qui semble le hanter pendant une bonne partie du livre (normal cela dit). Rapidement, la question de l'enterrement se pose, mais quel est le meilleur lieu pour cet homme qui a vécu sa vie entre deux pays ? Dans quelle patrie aurait-il préféré reposer pour l'éternité ? Wilfrid se met donc en tête de trouver l'endroit idéal et va pour se faire se rendre dans le pays natal de son père (probablement le Liban, même si rien ne l'indique clairement) et va aller à la rencontre de ces terres qui lui sont inconnues, bien qu'elles soient ses racines, et de ses habitants.

Je ne souhaite pas en dire plus, le reste sera à découvrir par vous-mêmes, au fil des mots de l'auteur. Encore une fois (même si en théorie je devrais dire « pour la première fois ») les thèmes de l'héritage, de la généalogie, du passé, etc. sont présents et viennent faire s'interroger les personnages et le lecteur d'une manière toute personnelle.

J'ai hâte de terminer ma découverte du Sang des promesses avec le quatrième volet, Ciels qui ne devrait pas me déplaire, puisque jusqu'à maintenant, j'ai fortement apprécié les trois autres.


Hé bien, vraiment pas déçue par ces pièces qui forment Le Sang des promesses.

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Titre : Incendies (#2)
Auteur : Wajdi Mouawad
Édition : Actes Sud / Babel
Date de parution : 2001
Nombre de pages : 176
Genre : Théâtre
Décor : Liban
Lu en : Juin 2016

9/10

Quatrième de couverture : Lorsque le notaire Lebel lit aux jumeaux Jeanne et Simon le testament de leur mère Nawal, il réveille en eux l’incertaine histoire de leur naissance : qui fut leur père, et par quelle odysée ont-ils vu le jour loin du pays d’origine de leur mère ? En remettant à chacun une enveloppe, destinée l’une à ce père qu’ils croyaient mort et l’autre à leur frère dont ils ignoraient l’existence, il fait bouger les continents de leur douleur : dans le livre des heures de cette famille, des drames insoupçonnés les attendent, qui portent les couleurs de l’irréparable. Mais le prix à payer pour que s’apaise l’âme tourmentée de Nawal risque de dévorer les destins de Jeanne et Simon.

Mon avis : Après Temps qui m'avait profondément déplu, je me suis lancée dans Incendies, sans avoir lu Littoral que je n'ai pas encore trouvé. J'avais trouvé Temps trop malsain, trop bizarre, trop décousu avec quelques grosses scènes provocantes et violentes. J'appréhendais donc un peu la lecture de cette pièce-là, mais à mon grand étonnement, mon ressenti est tout autre.

Certes, la violence est également présente, mais différemment. On plonge dans la passé de Nawad qui a vécu son lot d'horreurs et d'atrocités liées à la guerre, mais je trouve qu'ici, cette violence a un réel but. Elle n'est pas uniquement là pour choquer le public. Elle est au cour de l'intrigue et en plus nous dévoile peu à peu la psychologie de Nawad.

Le sujet est donc poignant, mêlé à la recherche de l'héritage et au regard vers le passé. Les dialogues sont vifs et le lecteur n'a pas besoin de faire d'effort pour s'imaginer le décor et l'atmosphère des événements.

J'avais critiqué les longues didascalies de Temps, mais ici en comparaison, elles sont brèves et précises, une très bonne surprise.

Je me suis sentie vraiment bien avec cette pièce, j'ai été intriguée, étonnée, déstabilisée, choquée... Mais aucun malaise tellement exagéré qu'on se demande juste « pourquoi, mais pourquoi ? ». En bref, j'ai apprécié et je suis donc curieuse de découvrir les autres pièces du Sang des promesses.


Troublant, puissant, nettement mieux que Temps.

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Titre : Forêts (#3)
Auteur : Wajdi Mouawad
Date de parution : 2012
Nombre de pages : 240
Genre : Théâtre
Lu en : Juillet 2016

8/10

Quatrième de couverture : En remontant le fil de ses origines, Loup ouvre une porte qui la conduira au fond d’un gouffre, car là se trouve la mémoire de son sang : une séquence douloureuse d’amours impossibles, qui va de Odette à Hélène, puis à Léonie, à Ludivine, à Sarah, à Luce et enfin à Aimée, sa mère... A travers les destins entrecroisés de ces femmes liées par le sang, toutes entraînées par les grands bouleversements historiques du 20ème siècle, Forêts remonte aux sources des fêlures humaines, intimes, familiales, historiques.

« C’est une pièce sur les promesses. Sur ce qui fait qu’on ne tient pas nos promesses. Sur ce qui fait qu’on ne se remet pas des promesses jamais tenues qu’on nous a faites. » Aux liens du sang s’ajoutent ainsi les liens créés par les promesses, recréant cette tension qui a nourri les tragédies de Sophocle, celle entre les lois de la nature et les engagements humains. L’amitié y est présente comme une « fenêtre dans le mur par laquelle on peut s’échapper ». Car « c’est l’amitié qui nous sauve des liens du sang parce qu’elle n’est pas liée à l’héritage ».


Mon avis : En lisant Forêts, deux mots me sont assez rapidement venus à l'esprit pour décrire la pièce, qui ont fini par fusionner pour donner l'expression « ritournelle kaléidoscopique ». En effet, j'ai vite senti que j'étais prise dans une sorte de tourbillon qui ne s'arrête jamais, où les choses semblent être mises en abyme et suivent inexorablement le même chemin. Le kaléidoscope selon moi représente d'une part la structure de la pièce, qui est explosée en petits fragments qu'il faut réunir pour tout comprendre et, d'autre part, un élément important de l'histoire, puisque le passé des personnages est lui aussi fragmenté et s'enchâsse avec celui d'autres personnages.

En fait, c'est vraiment difficile de décrire ce que l'on peut ressentir en lisant une telle pièce, et je suppose que ça doit être un véritable tour de force de le mettre en scène et être juste dingue à voir (si c'est bien fait, bien entendu).

En ce qui concerne le fond du récit en tant que tel, je commence à comprendre le schéma et le thème choisis par Wajdi Mouawad, ainsi que le titre des quatre pièces, Le Sang des promesses. Dans Forêts, tout comme dans Incendies, la trame était la recherche sa généalogie, les liens du sang, comprendre son passé et remonter le plus loin possible dans son ascendance pour éviter de commettre les mêmes erreurs et pouvoir tenter de sortir du cycle infernal qui emprisonne la vie des personnages.

Par contre, autant le dire tout de suite, la pièce n'est pas facile d'accès, il convient de ne pas la lire quand on est fatigué, elle demande un certain niveau de concentration pour parvenir à décortiquer toutes les informations distillées au fil des répliques et rassembler les fragments éparpillés entre les passés de chacun.

Complexe et hypnotisant, un véritable kaléidoscope de vies. Attention tout de même, la pièce est assez difficile d'accès, il convient d'être concentré.

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Titre : Ciels (#4)
Auteur : Wajdi Mouawad
Date de parution : 2012
Nombre de pages : 144
Lu en : Septembre 2016

10+/10

Quatrième de couverture : Isolée dans un lieu secret, l’équipe internationale de l’opération Socrate scrute le ciel et cherche à décrypter les messages invisibles que des terroristes y envoient. Quand l’un de ses membres se donne la mort pour des raisons obscures, ce ciel de toutes les voix et de toutes les nations s’obscurcit davantage : se pourrait-il que la beauté du monde enfante elle-même les démons de sa destruction, que L’Annonciation du Tintoret serve de motif à une tapisserie de l’horreur ?

« Ciels est la dernière partie d’une tétralogie commencée avec Littoral, Incendies et Forêts. Il en est aussi le contrepoint. Ciels est un spectacle qui cherche à contredire, par le fond et par la forme, tout ce que Littoral, Incendies et Forêts tentent de défendre : l’importance de la mémoire, la recherche de sens, la quête d’infini. Ciels raconte comment, précisément, ce qui est défendu par Littoral, Incendies, Forêts peut perdre le monde. »

« La poésie et la beauté peuvent devenir destruction. »


Mon avis :Waouw, quelle claque en pleine face ! Je ne m’attendais vraiment pas à cela.

Je pense que c’est une très bonne idée de se lancer dans cette lecture innocemment, sans ne rien savoir avant, les yeux fermés ; et de se laisser guider dans cet univers si différent des trois autres pièces du Sang des promesses. Un contrepied total, et aussi un pied total (en fait).

Je ne sais pas comment commencer mon avis, alors étonnamment, je vais commencer par la fin. La postface nous donne de précieuses indications de la création de la mise en scène de la pièce et je dois dire que je n’ai jamais vu quoi que ce soit de semblable. La scène est circulaire et entoure les spectateurs qui doivent se tourner pour suivre les différentes « chambres » et deviennent en plus une partie du décor de la pièce. Franchement, je ne sais pas où Wajdi Mouawad a été chercher cette idée, mais je crève d’envie de voir ça en vrai ! Certaines scènes sont décrites en détail (toujours dans la postface) et… Waouw, je veux en être !

La part visuelle est donc énorme, la dynamique théâtrale joue une grosse importance ; et malgré cela, la pièce écrite ne souffre en rien de ce manque de transmission visuelle, ses mots sont largement suffisants pour être pleinement appréciés. Dès les premières pages, une litanie aux sonorités puissamment poétiques m’a entièrement prise dans ses filets. Les mots choisis, les allitérations, les rythmes, la force des images utilisées… J’ai été soufflée, j’ai apprécié chaque syllabe et j’étais déjà à 100 % captive de l’ambiance si troublante de la pièce.
« Le hoquet que voilà ne craint pas le sursaut
Ne craint pas la gorgée de sang de gorge égorgée
Ni sursaut ni gorgée ne sauront l’interrompre
Nulle respiration retenue
Hic ! Hic !
Voici venu le temps hoquetant !
La peur, la terreur
L’hallali ! »
Ces vers libres reviendront à plusieurs reprises s’insérer entre les répliques et donnent un profond relief aux mots et une grosse secousse aux émotions. Un vrai coup de pied dans la fourmilière. Sincèrement, je ne veux pas en dire plus sur la trame, il faut la découvrir soi-même.

Je tiens juste à rajouter que je vous conseille fortement de lire Ciels après les autres pièces du Sang des promesses, autant les trois premières, qui partagent des liens de similitude très forts, peuvent être lues dans n’importe quel ordre, autant, celle-là qui prend le contrepied des trois autres doit impérativement être gardée pour la fin si vous voulez vous envoler avec ses mots.

En bref : un sujet passionnant, une litanie qui m’a prise aux tripes, au cœur, et même un peu au-delà, je ne sais pas comment l’exprimer, une mise en scène qui doit vraiment tout déchirer, une claque magistrale ; sans aucun doute ma pièce préférée de cette tétralogie, qui vient vraiment clore en beauté ce Sang des promesses.

PS : J'adore la couverture, elle m'a déjà séduite avant même d'ouvrir la première page. Par contre, j'ai réalisé qu'il y a cinq têtes pour quatre paires de jambes et ça m'a fortement perturbée.

Une grosse claque, magnifique ! À lire impérativement après les trois autres pièces de la tétralogie, sans rien savoir, lancez-vous, tout simplement !

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